Art en Action

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Le 20 février dernier s’est déroulée, au Musée de la Nation du Pérou, à Lima, une performance de l’artiste péruvienne Olga Luna, avec la participation de jeunes de Generación (ONG avec laquelle, il y a 15 ans, l’artiste a réalisé Le Mur – Art en Action).

La performance a débuté avec l’émission en code Morse de « Pérou Pérou Olga Luna » et la musique qui a suivi a transmis des ondes électroniques similaires à celles émises par les moyens de communication, le téléphone, l’ordinateur, etc., qui sont les vecteurs utilisés pour impliquer les jeunes dans des histoires et des vécus qui ne sont pas les leurs.

Les jeunes marchaient masqués, couverts par des voiles noirs qui sont les influences qui ondulent sous ces drapeaux et empêchent de voir qui ils sont en réalité.

Dans la deuxième partie, la lumière surgit avec le drapeau blanc, manifeste de ce qui occulte l’obscurité ; les voiles noirs disparaissent et chacun montre sur ses chemises où il a pu arriver grâce à l’éducation et à la culture (conducteur, instructeur, etc.).

La musique reproduit celle qu’ils créent en sortant des cours.

A la fin de la récréation, de retour à la vie d’intégration et culture, les voiles noirs sont abandonnés à même le sol…

Le Centre Art et Cultures, Cotonou, Bénin, 2015
Automne 2014

Le Mur – Art en Action, Hôpital intercommunal de Créteil – service de chirurgie pédiatrique

Ce projet a été réalisé avec les enfants et les jeunes hospitalisés dans le service de chirurgie pédiatrique de l’Hôpital intercommunal de Créteil. Il a bénéficié du soutien de l’Association pour la Diffusion de l’Art en Action, ainsi que de Marin Beaux-arts.

Le Mur, dix ans après

Le mur, dix ans après. Le mur qui, en dépit de sa répétition de par le monde, ne se contentera jamais d’être un mur. Plus que jamais, il s’imposera comme un début, un recommencement, un retour. Porteur de sens et d’espoirs.
Certains grincheux diront peut-être : « encore un mur », comme s’ils désiraient en voir bâtir le moins possible. Il est vrai que les malins qui préfèrent ignorer l’essence des choses tendent parfois à réduire un mur à sa seule fonction séparatrice, fermant les yeux sur la force protectrice qui est la sienne en maintes circonstances. Depuis la nuit des temps, persuadé de cette fonction protectrice, l’homme a souvent choisi de s’exprimer sur des murs, depuis les œuvres des artistes de Lascaux ou d’Altamira jusqu’aux tags de nos banlieues les plus proches. Oui, les murs ont toujours cherché à parler, à témoigner, à rassurer, à assurer. C’est comme si, forts de leur présence irrémédiable, ils aimaient à se persuader de leur capacité à produire un futur solidement enraciné dans le passé.
En fait, force est de reconnaître qu’il y a souvent quelqu’un qui se dissimule derrière un mur, et que ce quelqu’un n’hésite pas à s’adresser à quelqu’un d’autre. Parce qu’il permet de s’exprimer, le mur assure avec une particulière vivacité une transmission sociale toujours prête à dépasser la simple dimension symbolique. Alors, face à ce mur d’évidences, combien serons-nous à nous demander : Pour qui, pour quoi ?
Olga Luna apprend à des enfants à se montrer, sous l’aspect de masques en négatif faits de plâtre et de cendres, réunis en une œuvre collective.
En Amazonie comme en Papouasie Nouvelle-Guinée, on construit des maisons lorsque vient le moment d’assurer le renouveau de la société en permettant aux jeunes garçons de quitter le stade de leur enfance pour entrer dans la classe des hommes, les individus qui vont compter dans la société et auront le droit de fonder une famille. L’initiation commence par le montage en commun de la cloison, principe évident d’une rupture passant par ce qui ressemble à une petite mort et doit faire entrer d’un même élan dans le vaste domaine de la conscience du monde et dans celui, non moins étendu, des choix individuels imbriqués dans l’édifice d’une volonté collective. La cérémonie d’initiation s’accompagne d’un cortège d’épreuves subies de plein gré et avec tout l’orgueil nécessaire. C’est une authentique renaissance qui est ici en jeu, la séparation d’avec la prime enfance et le monde féminin, l’entrée dans une sociabilité nouvelle, à l’abri des regards de ceux qui auraient pu s’habituer à ne voir que le mal, ou qui s’apitoieraient vainement sur le sort d’une jeunesse perdue.
Au temps des Maya de l’ancien Mexique, les princes se faisaient enterrer le visage recouvert d’un splendide masque mortuaire censé leur assurer le chemin de l’immortalité. Ici, le mur ne se contente pas d’un unique masque d’enfant, il offre une multitude de masques en négatif, avec des yeux vides qui se sentent assez forts désormais pour pouvoir percer la moindre carapace. Le négatif ! Encore une renaissance, peut-être l’autre face d’une aspiration à délaisser une enveloppe flétrie afin de se raconter dans le cadre d’une vision renouvelée du monde ; une vie de tous les instants qui se nourrirait du passé, des dépôts informes du passé, des débris abandonnés le long d’un chemin opposé à l’espoir.
Le masque est artiste et sujet à la fois, il retient le temps qu’on a décidé de construire brique après brique, alors que, le temps d’avant, bien peu reconnaissaient à ces enfants une place dans l’histoire. Le mur ainsi fait connaître l’invisible. Quelles drôles de têtes sur le mur, celles de ceux dont on se rendait pas compte qu’ils tombaient parfois dans la rue, ceux qui se voyaient sans doute privés à jamais de toute nostalgie ! Les voilà qui, en participant à l’œuvre d’art, se projettent dans le temps en un mouvement collectif qui effacera peut-être leur impression poisseuse d’être irrémédiablement démunis dans leur solitude.
Des enfants qui s’expriment au cœur d’un projet créateur, une façon pour eux d’entrer dans le siècle, malgré tout. Et sans doute de bénéficier d’une manière de protection que, au bout du compte, ils auront choisie. Ensemble, ils dépassent le moment présent, ils contribuent à l’œuvre à la mesure de la dimension temporelle qui s’ouvre à eux, et qu’ils sont disposés à revendiquer en dépit du qu’en-dire-t-on. En dépit aussi de l’épreuve qu’ils ressentent sur leur visage ignoré, tandis que leurs traits commencent à prendre forme sous la couche de plâtre. Il y a comme une sorte de pari dans cette façon d’accepter de se voir figer dans le mur, dans le temps. Car en se laissant apercevoir, ils se voient surtout eux-mêmes, et peuvent enfin voir plus loin, pris dans une dynamique traversée d’avenir. Voilà que s’insinue enfin dans ces jeunes gens un sentiment d’appartenance. Je me vois, je m’appartiens. Je suis une œuvre d’art que je façonne moi-même, on me voit, j’appartiens à ce groupe, à cette maison du quartier, à ce mur qui, sans moi, n’aurait pas vraiment de sens. Après avoir expérimenté ce processus de création, je donne enfin. Je donne à voir autre chose que les certitudes aveugles qui jusqu’alors rassuraient les gens de l’autre monde.
Dix ans passés, autant de lieux traversés par le mur dans l’entretemps. Est-ce que ces enfants plus âgés de dix ans connaissent bien à présent cette sensation d’être au monde à chaque pas ? Leur histoire est désormais une histoire de choix, le choix d’une histoire dont ils ne se croyaient pas capables, probablement. En décidant de bâtir le mur dix ans plus tôt, savaient-ils qu’ils s‘offraient surtout la possibilité de se fabriquer un toit ?

Dominique Fournier (CNRS/FMSH)

22.06.2012 à Châtellerault, Centre d'Art Contemporain, ateliers de l'imprimé
02.11.2012 Centro Metropolitano de Diseño

Le Mur, dix ans après

Le mur, dix ans après. Le mur qui, en dépit de sa répétition de par le monde, ne se contentera jamais d’être un mur. Plus que jamais, il s’imposera comme un début, un recommencement, un retour. Porteur de sens et d’espoirs.
Certains grincheux diront peut-être : « encore un mur », comme s’ils désiraient en voir bâtir le moins possible. Il est vrai que les malins qui préfèrent ignorer l’essence des choses tendent parfois à réduire un mur à sa seule fonction séparatrice, fermant les yeux sur la force protectrice qui est la sienne en maintes circonstances. Depuis la nuit des temps, persuadé de cette fonction protectrice, l’homme a souvent choisi de s’exprimer sur des murs, depuis les œuvres des artistes de Lascaux ou d’Altamira jusqu’aux tags de nos banlieues les plus proches. Oui, les murs ont toujours cherché à parler, à témoigner, à rassurer, à assurer. C’est comme si, forts de leur présence irrémédiable, ils aimaient à se persuader de leur capacité à produire un futur solidement enraciné dans le passé.
En fait, force est de reconnaître qu’il y a souvent quelqu’un qui se dissimule derrière un mur, et que ce quelqu’un n’hésite pas à s’adresser à quelqu’un d’autre. Parce qu’il permet de s’exprimer, le mur assure avec une particulière vivacité une transmission sociale toujours prête à dépasser la simple dimension symbolique. Alors, face à ce mur d’évidences, combien serons-nous à nous demander : Pour qui, pour quoi ?
Olga Luna apprend à des enfants à se montrer, sous l’aspect de masques en négatif faits de plâtre et de cendres, réunis en une œuvre collective.
En Amazonie comme en Papouasie Nouvelle-Guinée, on construit des maisons lorsque vient le moment d’assurer le renouveau de la société en permettant aux jeunes garçons de quitter le stade de leur enfance pour entrer dans la classe des hommes, les individus qui vont compter dans la société et auront le droit de fonder une famille. L’initiation commence par le montage en commun de la cloison, principe évident d’une rupture passant par ce qui ressemble à une petite mort et doit faire entrer d’un même élan dans le vaste domaine de la conscience du monde et dans celui, non moins étendu, des choix individuels imbriqués dans l’édifice d’une volonté collective. La cérémonie d’initiation s’accompagne d’un cortège d’épreuves subies de plein gré et avec tout l’orgueil nécessaire. C’est une authentique renaissance qui est ici en jeu, la séparation d’avec la prime enfance et le monde féminin, l’entrée dans une sociabilité nouvelle, à l’abri des regards de ceux qui auraient pu s’habituer à ne voir que le mal, ou qui s’apitoieraient vainement sur le sort d’une jeunesse perdue.
Au temps des Maya de l’ancien Mexique, les princes se faisaient enterrer le visage recouvert d’un splendide masque mortuaire censé leur assurer le chemin de l’immortalité. Ici, le mur ne se contente pas d’un unique masque d’enfant, il offre une multitude de masques en négatif, avec des yeux vides qui se sentent assez forts désormais pour pouvoir percer la moindre carapace. Le négatif ! Encore une renaissance, peut-être l’autre face d’une aspiration à délaisser une enveloppe flétrie afin de se raconter dans le cadre d’une vision renouvelée du monde ; une vie de tous les instants qui se nourrirait du passé, des dépôts informes du passé, des débris abandonnés le long d’un chemin opposé à l’espoir.
Le masque est artiste et sujet à la fois, il retient le temps qu’on a décidé de construire brique après brique, alors que, le temps d’avant, bien peu reconnaissaient à ces enfants une place dans l’histoire. Le mur ainsi fait connaître l’invisible. Quelles drôles de têtes sur le mur, celles de ceux dont on se rendait pas compte qu’ils tombaient parfois dans la rue, ceux qui se voyaient sans doute privés à jamais de toute nostalgie ! Les voilà qui, en participant à l’œuvre d’art, se projettent dans le temps en un mouvement collectif qui effacera peut-être leur impression poisseuse d’être irrémédiablement démunis dans leur solitude.
Des enfants qui s’expriment au cœur d’un projet créateur, une façon pour eux d’entrer dans le siècle, malgré tout. Et sans doute de bénéficier d’une manière de protection que, au bout du compte, ils auront choisie. Ensemble, ils dépassent le moment présent, ils contribuent à l’œuvre à la mesure de la dimension temporelle qui s’ouvre à eux, et qu’ils sont disposés à revendiquer en dépit du qu’en-dire-t-on. En dépit aussi de l’épreuve qu’ils ressentent sur leur visage ignoré, tandis que leurs traits commencent à prendre forme sous la couche de plâtre. Il y a comme une sorte de pari dans cette façon d’accepter de se voir figer dans le mur, dans le temps. Car en se laissant apercevoir, ils se voient surtout eux-mêmes, et peuvent enfin voir plus loin, pris dans une dynamique traversée d’avenir. Voilà que s’insinue enfin dans ces jeunes gens un sentiment d’appartenance. Je me vois, je m’appartiens. Je suis une œuvre d’art que je façonne moi-même, on me voit, j’appartiens à ce groupe, à cette maison du quartier, à ce mur qui, sans moi, n’aurait pas vraiment de sens. Après avoir expérimenté ce processus de création, je donne enfin. Je donne à voir autre chose que les certitudes aveugles qui jusqu’alors rassuraient les gens de l’autre monde.
Dix ans passés, autant de lieux traversés par le mur dans l’entretemps. Est-ce que ces enfants plus âgés de dix ans connaissent bien à présent cette sensation d’être au monde à chaque pas ? Leur histoire est désormais une histoire de choix, le choix d’une histoire dont ils ne se croyaient pas capables, probablement. En décidant de bâtir le mur dix ans plus tôt, savaient-ils qu’ils s‘offraient surtout la possibilité de se fabriquer un toit ?

Dominique Fournier
CNRS/FMSH

Lieu d' Art Contemporain de la Reunión
Lieu d' Art Contemporain de la Reunión

FLEUR DE CANNELLE A LA REUNION

Le Lieu d’Art Contemporain Vincent Mengin situé à L’île de La Réunion a basé tout son concept sur les résidences d’artistes tout en accueillant chaque année plus de mille élèves.
Ainsi la démarche artistique d’Olga Luna, nous a tout de suite séduits, car elle implique de manière forte et intime la présence humaine.
Son projet de développer un atelier de moulages avec des jeunes élèves qui seraient à la fois des modèles et des assistants dans la réalisation d’une œuvre monumentale correspondait bien à l’un de nos principaux objectifs : créer des rencontres improbables entre les artistes invités et la jeunesse.
Jouer avec la matière et se servir du plâtre pour statufier pendant un cours instant l’espace de cinq minutes de pause l’empreinte de tous ces visages.
La couleur naturelle du plâtre apporte une unité à l’œuvre faisant apparaître le métissage à travers la forme des yeux, du nez de la bouche, etc.
La couleur de la peau n’intervient plus, c’est pour cette raison que j’appelle ces moulages « masques morphologiques identitaires ».
Fleur de cannelle à La Réunion est constituée de quarante sept moulages d’adolescents et de leurs professeurs.
Cette œuvre monumentale (L: 9 m x l: 3 m x h: 4 m), accompagnée des portraits photographiques en noir et blancs de tous les acteurs, est installée sous les arcades du lieu de résidence, là où la roche naturelle, mémoire géologique originelle, dialogue en permanence avec tous ces personnages devenus eux mêmes pierre, par la force du temps.
Enfin comme à son habitude, Vincent Mengin a réalisé un film de cinquante minutes pour conserver en images le passage éphémère de cette artiste péruvienne sur notre île.

Roselyne MENGIN
Directrice du Lieu d’Art Contemporain de La Réunion
Novembre 2010

Centre d' Art, Alasora, Madagascar
Centre d' Art, Alasora, Madagascar

L’île au trésor

Vous, les enfants d’ici, vous avez un secret : Vous vivez sur une île… Une île tourne comme une planète, et sa situation n’appartient ni à la mer ni à la terre. Alors quel est donc le contenu de votre secret ? De n’appartenir ni à la mer ni à la terre. Mais pour conserver le plus longtemps possible ce secret, il faut continuer à vivre sur une île. C’est comme un rêve. Et c’est à coup sûr difficile !

Enfants rencontrés dans une île, je vous appelle des Rêveurs, des Joueurs au sens profond et authentique du mot, autrement dit la vie est plus intense chez vous, plus dure aussi, que celle des continentaux d’en face ou de là-bas. Jouer veut dire agrandir l’espace ou l’espérance, c’est le même mot !

Eh bien ! Jouons ensemble ! Ramassez beaucoup de cailloux rouges à en remplir vos poches et des sacs. Ensuite, faites le tour de votre village ou de votre quartier en déposant, tous les sept mètres environ, trois cailloux au milieu de la route ou du chemin. Sans vous retourner une seule seconde… promis juré ! Puis refaites en sens inverse le tour du village, du quartier, en récupérant tous les tas de cailloux. Arrivés sur la place principale, vous les entassez avec soin en construisant une petite pyramide, à l’aide d’un peu de ciment pour la consolider contre le vent et la pluie. Enfin, sur une plaque de bois, vous gravez la date, l’heure, la saison, vos noms et vos prénoms sur deux colonnes. Voilà. Vous avez indiqué, par une sculpture, la vraie et bonne étendue du village ou du quartier.

Si l’enfance est fraîcheur comme la rosée qui se dépose sur le sable des plages, alors les femmes et les hommes adultes devinent que leurs traces sur la terre sont précaires puisque les vagues du temps ou bien de l’âge les mouillent puis les effacent. Toutefois, vous les enfants, vous démontrez à vos parents ou grands-parents le contraire : Oui, c’est certain, les conditions de vie et les nécessités urgentes de survivre mettent dans un coin, bien dans l’ombre ou au fond d’un gouffre, l’enfance et son élan. Mais plus on devient vieux – les yeux qui se voilent –, eh bien l’enfance remonte jusqu’à la tête et jusqu’aux pieds. Moi, je l’avoue, qui tremble en écrivant cela.

Car un enfant et une femme ou un homme coïncident en une action qui a la même forme : celle de l’abandon de l’âme et du corps. Par exemple, le petit enfant, un instant malheureux, va trouver instinctivement une consolation de sa mère nourricière ; la personne âgée, assise devant sa porte, appelle, par mélancolie et non par nostalgie, rappelle sa mémoire, ses souvenirs, sans retenue, avec plaisir, bénéfice et éternité retrouvée pour un moment.

La faculté d’oublier est commune à l’enfant et à l’adulte. L’enfant rejoint son père et sa mère dans la sorte d’oubli qu’il favorise presque à son insu… Mais comment percevoir cette coïncidence ? A-t-elle du moins une figure, une attitude ? Oui ! celle d’un être en chair et en os, depuis sa naissance définitive et jusqu’à sa disparition définitive, une vraie personne qui reste songeuse envers elle -même et les autres, et le monde avec son immonde (son contraire).

Louis Dalla Fior
2.12.2010