L’île au trésor
Vous, les enfants d’ici, vous avez un secret : Vous vivez sur une île… Une île tourne comme une planète, et sa situation n’appartient ni à la mer ni à la terre. Alors quel est donc le contenu de votre secret ? De n’appartenir ni à la mer ni à la terre. Mais pour conserver le plus longtemps possible ce secret, il faut continuer à vivre sur une île. C’est comme un rêve. Et c’est à coup sûr difficile !
Enfants rencontrés dans une île, je vous appelle des Rêveurs, des Joueurs au sens profond et authentique du mot, autrement dit la vie est plus intense chez vous, plus dure aussi, que celle des continentaux d’en face ou de là-bas. Jouer veut dire agrandir l’espace ou l’espérance, c’est le même mot !
Eh bien ! Jouons ensemble ! Ramassez beaucoup de cailloux rouges à en remplir vos poches et des sacs. Ensuite, faites le tour de votre village ou de votre quartier en déposant, tous les sept mètres environ, trois cailloux au milieu de la route ou du chemin. Sans vous retourner une seule seconde… promis juré ! Puis refaites en sens inverse le tour du village, du quartier, en récupérant tous les tas de cailloux. Arrivés sur la place principale, vous les entassez avec soin en construisant une petite pyramide, à l’aide d’un peu de ciment pour la consolider contre le vent et la pluie. Enfin, sur une plaque de bois, vous gravez la date, l’heure, la saison, vos noms et vos prénoms sur deux colonnes. Voilà. Vous avez indiqué, par une sculpture, la vraie et bonne étendue du village ou du quartier.
Si l’enfance est fraîcheur comme la rosée qui se dépose sur le sable des plages, alors les femmes et les hommes adultes devinent que leurs traces sur la terre sont précaires puisque les vagues du temps ou bien de l’âge les mouillent puis les effacent. Toutefois, vous les enfants, vous démontrez à vos parents ou grands-parents le contraire : Oui, c’est certain, les conditions de vie et les nécessités urgentes de survivre mettent dans un coin, bien dans l’ombre ou au fond d’un gouffre, l’enfance et son élan. Mais plus on devient vieux – les yeux qui se voilent –, eh bien l’enfance remonte jusqu’à la tête et jusqu’aux pieds. Moi, je l’avoue, qui tremble en écrivant cela.
Car un enfant et une femme ou un homme coïncident en une action qui a la même forme : celle de l’abandon de l’âme et du corps. Par exemple, le petit enfant, un instant malheureux, va trouver instinctivement une consolation de sa mère nourricière ; la personne âgée, assise devant sa porte, appelle, par mélancolie et non par nostalgie, rappelle sa mémoire, ses souvenirs, sans retenue, avec plaisir, bénéfice et éternité retrouvée pour un moment.
La faculté d’oublier est commune à l’enfant et à l’adulte. L’enfant rejoint son père et sa mère dans la sorte d’oubli qu’il favorise presque à son insu… Mais comment percevoir cette coïncidence ? A-t-elle du moins une figure, une attitude ? Oui ! celle d’un être en chair et en os, depuis sa naissance définitive et jusqu’à sa disparition définitive, une vraie personne qui reste songeuse envers elle -même et les autres, et le monde avec son immonde (son contraire).
Louis Dalla Fior
2.12.2010